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I DON'T KNOW WHAT TO DO WITH MY LIFE!!
7 janvier 2005

"Le Cinecittà ? Ouais, c’est juste en face… Mais

"Le Cinecittà ? Ouais, c’est juste en face… Mais je sais pas si c’est bien…"

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Un scooter de mod, un Vespa jaune éclatant, décoré d’une cocarde aux couleurs de l’Italie. On traverse. Des travaux partout, c’est la seconde ligne de métro. J’ignore quand elle verra le jour - mais même un moratoire sur son ouverture ne saurait réprimer le jovial chaos du trafic toulousain. Sanguin, faut être sanguin pour survivre ici. Au volant ou à pied. Concrete jungle, au teint ocre des vieilles bâtisses en briques.

 

Le Cinecittà. C’est pas bien. Demi-tour.

 

Une pizzeria, rue de la Colombette. Décor grandiose, sans verser dans la pompe - comme une reconstitution en studio du patio d’une villa toscane, avec alcôves, fausses fenêtres apprêtées de fleurs, tables posées sur des piédestaux. La serveuse, enfin. Avec son accent du cru, elle prend la commande : elle a un sourire brutal, mais un corps magnifique. Je la regarde s’affairer, se précipiter au fond de la salle, élégante, un chiffon immaculé sur le bras, une pile de plats en fer dans les mains. Il y a foule ce soir. Brouhaha mêlé au cliquetis des fourchettes et des couteaux, au crissement des couverts sur les plats en fer. On parle de Mondovino. Justement, le rouge qu’on nous a servi est dégueulasse, mais ça, on pouvait s’y attendre. Paul me dit de me retourner discrètement - derrière moi, près du comptoir, une sublime brune, sophistiquée, sexy, en jupe et bottes en cuir. Accompagnée. Je fais mine d’observer une tache imaginaire sur le carrelage régulier du restaurant, je panote de 90 degrés, j’avise une cuisse dénudée, exsudant une sensualité exquise, épanouie entre l’étoffe raide de la jupe et le cuir noir. Paul se fout de ma gueule, gentiment. La serveuse repasse devant notre table. Paul se fout de ma gueule, gentiment. Le fruste banquet s’achève dans un éclat de rire.

 

Un film ? L’Utopia. Que des films pourris. Trop tard pour les autres. Une fille en vélo, deux autres filles - elles discutent, elles tergiversent, putain, mais qu’est-ce qu’on va faire de cette soirée ? Je me roule une clope. "Vous aviez l’intention d’aller voir un film ?" C’est la moins jolie des trois qui répond. Celle qui tient sa bicyclette me rappelle une vieille connaissance, avec qui j’ai justement frayé dans ces eaux - autrefois. Jolie, style hippie new age, encens et macramé, probablement étudiante en Histoire de l’art. Quel putain d’a priori à la con ! "On va plutôt aller boire un verre". Je fume, j’observe la jolie cycliste recluse dans son dédain à notre égard, je souris d’un air entendu. "On peut vous accompagner ?" Elle est vraiment pas mal, mais elle se tait obstinément, ou alors tente de nous exclure subrepticement d’une conversation privilégiée. Trois copines en goguette… "Ouais… pourquoi pas ?" On remonte vers la place Saint-Georges. Tout est fermé. Finalement, en catimini, tandis qu’on avance un peu en retrait, un rien intimidés par leur abnégation farouche, elles décident d’un commun accord d’aller finir la soirée chez l’une d’entre elles - il y a de la vodka, sans doute du shit… Filles de l’air. "On peut vous accompagner ?" Moue crispée. "Euh… non". Rien à foutre. La fille au vélo est mignonne, certes, mais elle me rappelle trop quelqu’un, décidément. J’ai déjà donné dans le trip hippie new age, encens et macramé. C’est pas glorieux – ça part vite en fumée, tiens... Don’t look back.

 

"On a fait ça avant". Paul, amusé - moi, interloqué. "Avant quoi ?" Elle ne s’arrête pas. Démarche altière, enjouée, long manteau noir. "Avant vous, on a fait ça avant vous !" Sourire de connivence. Elle est belle. Elle poursuit sa route. "Ce serait impossible ailleurs qu’ici" : j’ai dit quelque chose comme ça, sous le charme de cette rencontre fugitive, sibylline, en coup de vent. On est calfeutrés dans l’embrasure d’une porte cochère, à l’angle de la rue Pharaon et de la place des Carmes. Je tire une grosse taffe sur le joint, puis Paul décide de dénicher une planque plus à même de nous abriter des regards inquisiteurs. On se dirige lentement vers le parking, un peu plus haut.

 

Le London Town. Au comptoir, on azague à l’envi, on matelasse d'une écume ambrée l'arrière-goût acide du litron de la pizzeria - Guinness, bière blanche. Chouette, ils passent en boucle l’album des Libertines… Ah ! non, tiens, un petit Franz Ferdinand pour changer… Une espèce de dandy rustaud, myope et joufflu, s’enflamme aux premières notes de ‘Can’t Stand Me Now'. Il me marche sur les pieds à deux reprises, s'excuse obséquieusement - dans de telles circonstances, j'essaie de conférer à mon regard une lueur de mansuétude irisée d'un mépris hautain. J'sais pas si ça marche... "Ce type a un badge au même endroit que toi, sur son jean..." C'est un type un peu à l'écart, il fait partie de la fratrie du trublion aviné qui s'essuie fougueusement sur mes baskets au son des Libs. J'arrive pas à voir son badge... Je hausse les épaules : le badge 'Orgasm Addict' épinglé au revers de la poche du jean, c'est copyright R.W. en tous cas. Et merde ! Une autre bière.

 

La barmaid du pub est ravissante, c'est une Irlandaise. Elle a une superbe crinière onduleuse, blond vénitien, qu'elle rabat gracieusement sur son épaule droite. Elle est grande, plutôt gironde, yeux verts, beau sourire, et un haussement de sourcils désarmant - sans parler de son jeu de cils, frisant la perfection... Pour faire le malin, je passe la commande en anglais. Elle en a strictement rien à foutre. On revient à notre place, au chaud.

 

"Ouais, on cherche un troisième larron pour jouer aux fléchettes, ça vous dit...?" Flottement incrédule. Darts Of Pleasure, et puis quoi encore… ? "Ben, non... On discute". Le type sillonne le pub en quête du troisième homme providentiel, penaud mais guilleret, un peu précieux aussi - tandis qu’il s’éloigne, je crois reconnaître Belle & Sebastian, 'I'm A Cuckoo'.

 

La fatigue. Le London Town se vide, les bruyantes colonies de fêtards s'égaillent. On rentre. La télé. Rien. Le néant. Je m'endors sur le clic-clac du salon, devant un documentaire affligeant, racoleur et funeste, sur l'affaire Villemin. Le présentateur, suintant de suffisance, annonce avec emphase une exclusivité : pour la première fois, on va entendre de nos oreilles ébahies la vraie voix authentique du corbeau de Lépanges-sur-Vologne... Ouais, j'aime autant vous dire que ça va frémir dans les chaumières ! En fait de corbeau, on perçoit à peine le sifflement chevrotant et pusillanime d’une vieille pie arthritique, sur fond de violons douloureux empruntés à un téléfilm d’angoisse à la petite semaine. Brrr…

 

"Aujourd'hui, plus de vingt ans après les faits, on ne sait toujours pas qui a assassiné le petit Grégory. Alors, Thierry Roland, vous pensez qu'on parviendra un jour à démasquer ce criminel...?" Bonne nuit.

 

Je suis enrhumé - salves d’éternuements nocturnes impromptues. Il fait pas froid pourtant. Je n’ai qu’une fine couverture de laine sur le dos. Les fibres de la laine, ça m’irrite les narines.

 

11 heures du mat’. Faut s’réveiller... Où est passé ma brosse à dents... ?, comme dirait Jacqueline T., quatre heures plus tôt.

 

Dernières emplettes. Café. Paul veut s’inscrire à tout prix sur les listes électorales. Je me fous de sa gueule, gentiment. Je me pointe au Virgin : on va acheter un bouquin à Seb, comme l’année dernière. Ce serait pas mal  que ça lui plaise, cette fois-ci. Incontinent, je choisis un volume des Chroniques de la haine ordinaire de Pierre Desproges - prise de risque minimale. Paul me rejoint plus vite que prévu, l’air dépité : apparemment, les citoyens se bousculent au portillon solennel de la démocratie, aurait-on affaire à une saine recrudescence du sens civique ? Ben, non, c’est juste qu’on est le 30 aujourd’hui, camarade...

 

Paulo tient absolument à ce que je lise Ca, c’est un baiser de Philippe Djian - un de ses fondamentaux, en exergue à sa bibliothèque perso. "Ouais, j’sais pas..." Il m’offre le bouquin. Ok, je le lirai - plus tard. Pour l’instant, j’ai encore mon Cimino sur le feu, sans compter les nouvelles d’Italo Svevo, celles de Thomas Bernhard, celles de Leonardo Sciascia, les conversations gouailleuses et réjouissantes de Samuel Fuller avec Jean Narboni et Noël Simsolo, ainsi que ce pinailleur suisse un tantinet poussif, Charles-Albert Cingria... Djian attendra.

 

On va partir. Direction Florentin, chez Seb. En dernier recours, on s’arrête dans une station essence de Jolimont pour débusquer un mousseux prétentieusement étiqueté Café de Paris. Enfin, il paraît que c’est une bonne marque, pas mauvais du tout. Je fais amende honorable. Je suis pas un expert en mousseux, quoi...

 

"Tu vois, Nico, je crois que tu poses le problème à l’envers, en fait... A mon avis, c’est pas tant ton rapport à l’alcool qui est en cause, que ton rapport à la fête. Ben ouais, comment gérer l’excitation que ça procure, tout ça..." Le sempiternel débat vire rapidement à une rhétorique rituelle, mi-rabelaisienne, mi-stoïque. Ca me fait vraiment chaud au cœur de revoir Nico, et Seb, et Yves et Karine. Tout le monde va bien. Yves souhaite vendre sa vieille 205. Paul s’affiche comme acquéreur potentiel, mais il tente de marchander, chipote sur le prix fixé par Yves. Les négociations sont forcément âpres, mais se transforment vite en palabres enjouées. On écoute du dub, on baigne dans la joie et la bonne humeur. Au menu : foie gras importé du Lot, raclette, chichon.

 

Karine souhaite vendre la planche à voile qui croupit dans son garage. "Avec le wish, le mât, la dérive… tout ça ?" Je suis intéressé. Paulo aussi. Les négociations sont forcément âpres, mais... Je me vois déjà à Tarifa, ou sur le lac de Garde - un spot terrible selon l’ami Carlo : vent régulier et puissant. Je rêve...

 

Paul me ramène chez moi en fin d’après-midi, dans sa tire con réacteur thermonucléaire. C’est un doux euphémisme : on s’entend tout juste brailler. Dans ces conditions, il est en droit d’exiger une ristourne sur la 205, faut pas déconner... Pour soulager le tigre enroué sous le capot de sa bagnole, il compte passer chez Midas, avenue François Verdier, après m’avoir déposé. Intéressant, ça...

 

A la maison. Tout est calme. Ma sœur squatte ma chambre : elle révise studieusement ses manuels d’anatomie et de physique. Je me cloître dans la chambre de mes parents, j’écoute des skeuds, et, le cœur vaillant, je me décide à entamer le Philippe Djian. Mais très vite, je m’affaisse lourdement sur la quatrième de couverture. Sieste abyssale.

 

Je me réveille vers 19 h 30. On va passer à table. OK, allons-y.

 

Je retourne me coucher.

 

Le lendemain, lever tôt : j’avais décidé de me raser pour affronter dignement le réveillon, mais en fin de compte, le chaume touffu qui recouvre mes tempes et mon menton me décourage. Tant pis. Ils arrivent vers 11 heures. Sarah est exubérante, comme d’hab’, elle me demande d’emporter des disques parce qu’elle ne supporte plus les avatars de chanson réaliste gaucho de Yohann. Je fais la grimace. Manifestement, ils se sont bien échauffés depuis Carmaux, et ça risque de continuer jusqu’à Toulouse. Il y a aussi Gwendoline, la cousine de mes cousines – mignonne et timide, elle encaisse héroïquement le baratin individualiste de Sarah et la furia syndicaliste de Yo.

 

Dans la voiture, on n’y coupe pas. Yo me fait écouter sa trouvaille, mais je n’ai pas le cœur à écouter du sous-Têtes Raides assaisonné à un discours proto-trotskyste convenu. Très vite, je mets un disque, une compil’ de la Motown, mais on n’entend rien avec le ronron hénaurme de l’autoroute - d'uatant plus que Yo a baissé le volume pour mieux nous faire part de ses impressions mitigées sur le contexte social de la rentrée. Sarah s’est endormie. Mais dès qu’on sort de l’autoroute, à hauteur de Montastruc, le débat reprend vigoureusement. Sarah affiche ses convictions néo-libérales avec droiture (hum...), tandis que Yo s’escrime à défendre la cause des travailleurs solidaires, etc. Je penche naturellement du côté de mon cousin, mais là, je me sens pas d’attaque à m’immiscer dans leur joute politique décousue. Je préfère me réfugier dans la sensualité clinquante des Supremes, assourdie par tant de vacarme - je m’agrippe à ce fil ténu comme à une bouée de sauvetage. Putain, et la trêve des confiseurs, vous en faites quoi...?

 

On débarque à L’Union. Martin nous accueille. On débarque tout notre fatras, bagages, effets personnels, duvets, bûches, mandarines et litchis, puis on part vers le centre-ville retrouver Elsa, aux Galeries Lafayette. Devant l’affluence de la famille, Thierry lui accorde son après-midi. Cool. On mange au Barrier, en face du grand magasin, puis les filles se paient une expédition fringues et autres futilités aux Nouvelles Galeries. J’en profite pour faire un détour chez Armadillo. Je trouve deux pépites : Nosferatu, l’album solo de Hugh Cornwell, sorti en 1979, et un album des Scars intitulé Author! Author!, de 1981. Garry Mulholland évoque leur premier single, ‘Horrorshow’, sorti sur le label Fast en 79 (je crois) dans son séminal This is uncool. Ca a l’air bien, même s’ils ont tous des dégaines effroyables de garçons coiffeurs rétro-futuristes, mais je ne leur en saurai gré : l’époque était aux oripeaux flamboyants et criards, comme en attestent Adam & the Ants, Duran Duran, Bow Wow Wow ou Altered Images... Après vérification, les Scars se lovent adroitement dans une veine saillante, au carrefour de Teardrop Explodes, Echo & the Bunnymen, Josef K. ou The Sound. Pas mal du tout, donc. Bonne affaire.

 

Je retrouve les autres au parking Jean Jaurès. On retourne à L’Union. Il faut aller acheter les menus commandés au Leclerc de Rouffiac, ranger et nettoyer un peu l’appartement de mes cousines, dissimuler toutes sortes d’objets contondants, et autres vecteurs d’accidents domestiques (il y aura une gamine de cinq ans et quelques fêtards bourrés ce soir...), s’occuper de la disposition des tables, de l’apéro, etc.

 

Finalement, je reste à l’appart’ avec les cousines pendant que Martin et Yo se radinent chez le traiteur. Entre-temps, Gérard, un ami de Thierry, qui sera lui aussi de la party, est venu installer les enceintes pour la chaîne. Et il est reparti aussi sec. Je me paume dans la résidence en descendant les ordures ménagères - impossible de trouver le local poubelles. Je fais le tour du pâté d’immeubles, l’air contrit, les bras encombrés de cartons et de sacs plastiques. C’est ultra sécurisé, y a des digicodes partout, on se croirait à Beverly Hills ou dans le Luberon - du coup, je suis incapable de remonter à l’appart’. De la terrasse, je hèle Sarah qui grille une clope sur le balcon. Elsa vient à ma rescousse, me déleste de quelques bricoles, et m’indique la voie du Saint Graal des détritus domestiques... Pas de container pour le verre - il doit se trouver à l’extérieur de la résidence. On ramène les cadavres de bouteilles en haut, on les planque discrètement sur le balcon, sous le séchoir.

 

L’appart’ est en ordre, prêt à affronter les péripéties de la Saint-Sylvestre. Martin et Yo reviennent assez vite du Leclerc. Alors on attend. On s’ennuie un peu. On écoute de la musique. Yohann a acheté des CD de Philip Glass - il plombe encore un peu plus l’ambiance. Je rectifie le tir en mettant Gemstones d’Adam Green sur la platine. Les autres apprécient. Puis une compil’ de singles des Kinks. Le must absolu, de 1964 à 1967, de ‘Long Tall Sally’ à ‘Dead-End Street’. Sarah opine du chef, Yo avoue son engouement pour "ce genre de musique". Mais bientôt, ils commencent à comparer les Kinks aux Beatles. La rengaine habituelle... Je fulmine intérieurement. Selon Edwyn Collins, tout et n’importe quoi ressemble aux Beatles - il l’a écrit dans une chanson de son album Doctor Syntax, sorti en 2002, je crois. Sous prétexte que ce groupe est plus connu que Jésus-Christ himself ici-bas (c’est pas moi qui l’ai sortie, celle-là, et j’aime autant vous dire que ça a fait du bruit... cependant, c’est pas bien loin de la vérité), on devrait mesurer n’importe quel pourvoyeur de pop énergique à l’aune des Fab Four de Liverpool. Merde ! Les Kinks surclassent les Beatles en émotion, en intensité, en authenticité... Je n’échangerai pour rien au monde un baril de Ray Davies contre deux barils de Lennon/McCartney, merci bien.

 

Au bout d’un moment, les filles vont se réfugier dans la chambre d’Elsa pour consoler Gwendoline, un brin cafardeuse. Peine de cœur, semble-t-il... On reste dans le salon avec Yo et Martin. On attend. On s’ennuie un peu. On écoute de la musique. Queens of the Stone Age, Monochrome Set, The Shins. On joue au pendu. Martin commence : - - - - - - -. La solution : H E R O I N E. Un p’tit fix, quelqu’un ? J’suis pas l’homme au bras d’or. A mon tour : - - - - - - - - -. La solution : M E T H A D O N E. "Ben ouais, normal, un mot de substitution..." Yohann a décrété sérieusement 2005 année de l’humour. Les prémisses sont fulgurants, cousin...!

 

Sandra arrive du boulot vers 21 heures, Martin fait un peu la gueule. Ca s’arrange, mais tout de même, sa patronne est une vraie connasse. Les premiers invités débarquent peu de temps après. Puis tout s’embraye très vite. Des copines de…, des copains de…, etc. On entame l’apéro. Kir mûre, vodka caramel-jus de pomme : je tise tranquillement. J’en ai marre de rouler mes barreaux de chaise, je taxe des clopes de ci, de là. Ambiance détendue mais encore un peu gauche. Beaucoup de gens ne se connaissent pas.

 

"Alors, qui est avec qui ici… ?" s’enquiert abruptement Gérard. On rigole. Ce réveillon tient tout autant de la réunion de famille que du dîner en ville truffé d’anonymes avenants. La gamine de cinq ans est mignonne et très vive pour son âge - parfois survoltée, même... Je mets mon chapeau noir feutré d’inspiration Philip Marlowe pour épater la galerie. Bien joué : tout le monde veut l’essayer à tour de rôle. Les flashes des appareils photo numériques fusent. Certaines photos sont pas mal, d’autres carrément ingrates. A un moment, mon chapeau se morfond dans un coin du canapé - la petite est à deux doigts de l’écraser. J’esquisse un léger rictus, je me faufile au milieu des convives, je m’empare du couvre-chef, et je vais l’accrocher fissa à une lampe en hauteur, dans la chambre d’Elsa. Ouais, je veux pas passer pour un pauvre matérialiste superficiel, mais je l’ai acheté y a un  mois à peine à L.A., et il est déjà abîmé. Faut dire, ils m’ont fait le même coup à Noël, alors... A l’instar d’un animal de compagnie, un chapeau n’est pas un jouet qu’on se refile sans considération, juste pour s’amuser de l’accoutrement élégamment décalé qu’il prodigue. Non mais !

 

L’apéro traîne en longueur, on est de plus en plus enivré. Yohann a faim, et propose de passer à table. Il est environ minuit moins le quart. Les convives se sont un peu dispersés dans le salon, certains se sont même étalés sans vergogne. La petite joue avec un énergumène prénommé Yannick, un copain d’un copain de..., qui travaille dans un service de sécurité civile. Un videur occasionnel, donc - il a le physique de l’emploi, il ressemble à un demi de mêlée samoan, râblé et mastoc, mâchoires carrées, yeux félins. La gamine, perspicace pour son âge, a tout de suite vu en lui un détenu potentiel, elle veut l’emprisonner, elle lui attache les mains au moyen de menottes en papier qu’elle a elle-même confectionnées. Il se prête au jeu sans barguigner.

 

On passe à table. "Ca y est, c’est minuit ! Bonne année !" Personne ne réagit. "T’avances, cousin - il est minuit moins deux, patience". Sarah a probablement raison. Je me concentre sur le foie gras en attendant les douze coups. Pour ma part, le compte est bon, j’ai adressé mes meilleurs vœux à toute la compagnie, basta !

 

Un coup de fil, minuit et quatre minutes sur l’horloge analogique de mon portable. Je sors sur le balcon, pour mieux entendre. Mes parents. "Bonne année !" Je tente de leur renvoyer la pareille... mais je reçois un jet de mousse filante sur les oreilles et dans les cheveux. Je reviens dans le salon : les cotillons virevoltent, les sifflets crissent, les accolades pleuvent, les vœux s’entrecroisent, les kamikazes aux bombes à mousse s’en donnent à cœur joie, la gamine est hystérique. "Ouais, ouais, bonne année, je l’avais déjà dit tout à l’heure..." Dans le chaos festif général, je termine paisiblement le foie gras avant qu’il ne soit complètement maculé de sillons de mousse verdâtre.

 

Voilà, tout ça, c’est déjà de l’histoire ancienne. Le reste...       

 

   

 

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