"Le Cinecittà ? Ouais, cest juste en face Mais
"Le Cinecittà ? Ouais, cest juste en face Mais je sais pas si cest bien "
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Un scooter de mod, un Vespa jaune éclatant, décoré dune cocarde aux couleurs de lItalie. On traverse. Des travaux partout, cest la seconde ligne de métro. Jignore quand elle verra le jour - mais même un moratoire sur son ouverture ne saurait réprimer le jovial chaos du trafic toulousain. Sanguin, faut être sanguin pour survivre ici. Au volant ou à pied. Concrete jungle, au teint ocre des vieilles bâtisses en briques.
Le Cinecittà. Cest pas bien. Demi-tour.
Une pizzeria, rue de la Colombette. Décor grandiose, sans verser dans la pompe - comme une reconstitution en studio du patio dune villa toscane, avec alcôves, fausses fenêtres apprêtées de fleurs, tables posées sur des piédestaux. La serveuse, enfin. Avec son accent du cru, elle prend la commande : elle a un sourire brutal, mais un corps magnifique. Je la regarde saffairer, se précipiter au fond de la salle, élégante, un chiffon immaculé sur le bras, une pile de plats en fer dans les mains. Il y a foule ce soir. Brouhaha mêlé au cliquetis des fourchettes et des couteaux, au crissement des couverts sur les plats en fer. On parle de Mondovino. Justement, le rouge quon nous a servi est dégueulasse, mais ça, on pouvait sy attendre. Paul me dit de me retourner discrètement - derrière moi, près du comptoir, une sublime brune, sophistiquée, sexy, en jupe et bottes en cuir. Accompagnée. Je fais mine dobserver une tache imaginaire sur le carrelage régulier du restaurant, je panote de 90 degrés, javise une cuisse dénudée, exsudant une sensualité exquise, épanouie entre létoffe raide de la jupe et le cuir noir. Paul se fout de ma gueule, gentiment. La serveuse repasse devant notre table. Paul se fout de ma gueule, gentiment. Le fruste banquet sachève dans un éclat de rire.
Un film ? LUtopia. Que des films pourris. Trop tard pour les autres. Une fille en vélo, deux autres filles - elles discutent, elles tergiversent, putain, mais quest-ce quon va faire de cette soirée ? Je me roule une clope. "Vous aviez lintention daller voir un film ?" Cest la moins jolie des trois qui répond. Celle qui tient sa bicyclette me rappelle une vieille connaissance, avec qui jai justement frayé dans ces eaux - autrefois. Jolie, style hippie new age, encens et macramé, probablement étudiante en Histoire de lart. Quel putain da priori à la con ! "On va plutôt aller boire un verre". Je fume, jobserve la jolie cycliste recluse dans son dédain à notre égard, je souris dun air entendu. "On peut vous accompagner ?" Elle est vraiment pas mal, mais elle se tait obstinément, ou alors tente de nous exclure subrepticement dune conversation privilégiée. Trois copines en goguette "Ouais pourquoi pas ?" On remonte vers la place Saint-Georges. Tout est fermé. Finalement, en catimini, tandis quon avance un peu en retrait, un rien intimidés par leur abnégation farouche, elles décident dun commun accord daller finir la soirée chez lune dentre elles - il y a de la vodka, sans doute du shit Filles de lair. "On peut vous accompagner ?" Moue crispée. "Euh non". Rien à foutre. La fille au vélo est mignonne, certes, mais elle me rappelle trop quelquun, décidément. Jai déjà donné dans le trip hippie new age, encens et macramé. Cest pas glorieux ça part vite en fumée, tiens... Dont look back.
"On a fait ça avant". Paul, amusé - moi, interloqué. "Avant quoi ?" Elle ne sarrête pas. Démarche altière, enjouée, long manteau noir. "Avant vous, on a fait ça avant vous !" Sourire de connivence. Elle est belle. Elle poursuit sa route. "Ce serait impossible ailleurs quici" : jai dit quelque chose comme ça, sous le charme de cette rencontre fugitive, sibylline, en coup de vent. On est calfeutrés dans lembrasure dune porte cochère, à langle de la rue Pharaon et de la place des Carmes. Je tire une grosse taffe sur le joint, puis Paul décide de dénicher une planque plus à même de nous abriter des regards inquisiteurs. On se dirige lentement vers le parking, un peu plus haut.
Le London Town. Au comptoir, on azague à lenvi, on matelasse d'une écume ambrée l'arrière-goût acide du litron de la pizzeria - Guinness, bière blanche. Chouette, ils passent en boucle lalbum des Libertines Ah ! non, tiens, un petit Franz Ferdinand pour changer Une espèce de dandy rustaud, myope et joufflu, senflamme aux premières notes de Cant Stand Me Now'. Il me marche sur les pieds à deux reprises, s'excuse obséquieusement - dans de telles circonstances, j'essaie de conférer à mon regard une lueur de mansuétude irisée d'un mépris hautain. J'sais pas si ça marche... "Ce type a un badge au même endroit que toi, sur son jean..." C'est un type un peu à l'écart, il fait partie de la fratrie du trublion aviné qui s'essuie fougueusement sur mes baskets au son des Libs. J'arrive pas à voir son badge... Je hausse les épaules : le badge 'Orgasm Addict' épinglé au revers de la poche du jean, c'est copyright R.W. en tous cas. Et merde ! Une autre bière.
La barmaid du pub est ravissante, c'est une Irlandaise. Elle a une superbe crinière onduleuse, blond vénitien, qu'elle rabat gracieusement sur son épaule droite. Elle est grande, plutôt gironde, yeux verts, beau sourire, et un haussement de sourcils désarmant - sans parler de son jeu de cils, frisant la perfection... Pour faire le malin, je passe la commande en anglais. Elle en a strictement rien à foutre. On revient à notre place, au chaud.
"Ouais, on cherche un troisième larron pour jouer aux fléchettes, ça vous dit...?" Flottement incrédule. Darts Of Pleasure, et puis quoi encore ? "Ben, non... On discute". Le type sillonne le pub en quête du troisième homme providentiel, penaud mais guilleret, un peu précieux aussi - tandis quil séloigne, je crois reconnaître Belle & Sebastian, 'I'm A Cuckoo'.
La fatigue. Le London Town se vide, les bruyantes colonies de fêtards s'égaillent. On rentre. La télé. Rien. Le néant. Je m'endors sur le clic-clac du salon, devant un documentaire affligeant, racoleur et funeste, sur l'affaire Villemin. Le présentateur, suintant de suffisance, annonce avec emphase une exclusivité : pour la première fois, on va entendre de nos oreilles ébahies la vraie voix authentique du corbeau de Lépanges-sur-Vologne... Ouais, j'aime autant vous dire que ça va frémir dans les chaumières ! En fait de corbeau, on perçoit à peine le sifflement chevrotant et pusillanime dune vieille pie arthritique, sur fond de violons douloureux empruntés à un téléfilm dangoisse à la petite semaine. Brrr
"Aujourd'hui, plus de vingt ans après les faits, on ne sait toujours pas qui a assassiné le petit Grégory. Alors, Thierry Roland, vous pensez qu'on parviendra un jour à démasquer ce criminel...?" Bonne nuit.
Je suis enrhumé - salves déternuements nocturnes impromptues. Il fait pas froid pourtant. Je nai quune fine couverture de laine sur le dos. Les fibres de la laine, ça mirrite les narines.
11 heures du mat. Faut sréveiller... Où est passé ma brosse à dents... ?, comme dirait Jacqueline T., quatre heures plus tôt.
Dernières emplettes. Café. Paul veut sinscrire à tout prix sur les listes électorales. Je me fous de sa gueule, gentiment. Je me pointe au Virgin : on va acheter un bouquin à Seb, comme lannée dernière. Ce serait pas mal que ça lui plaise, cette fois-ci. Incontinent, je choisis un volume des Chroniques de la haine ordinaire de Pierre Desproges - prise de risque minimale. Paul me rejoint plus vite que prévu, lair dépité : apparemment, les citoyens se bousculent au portillon solennel de la démocratie, aurait-on affaire à une saine recrudescence du sens civique ? Ben, non, cest juste quon est le 30 aujourdhui, camarade...
Paulo tient absolument à ce que je lise Ca, cest un baiser de Philippe Djian - un de ses fondamentaux, en exergue à sa bibliothèque perso. "Ouais, jsais pas..." Il moffre le bouquin. Ok, je le lirai - plus tard. Pour linstant, jai encore mon Cimino sur le feu, sans compter les nouvelles dItalo Svevo, celles de Thomas Bernhard, celles de Leonardo Sciascia, les conversations gouailleuses et réjouissantes de Samuel Fuller avec Jean Narboni et Noël Simsolo, ainsi que ce pinailleur suisse un tantinet poussif, Charles-Albert Cingria... Djian attendra.
On va partir. Direction Florentin, chez Seb. En dernier recours, on sarrête dans une station essence de Jolimont pour débusquer un mousseux prétentieusement étiqueté Café de Paris. Enfin, il paraît que cest une bonne marque, pas mauvais du tout. Je fais amende honorable. Je suis pas un expert en mousseux, quoi...
"Tu vois, Nico, je crois que tu poses le problème à lenvers, en fait... A mon avis, cest pas tant ton rapport à lalcool qui est en cause, que ton rapport à la fête. Ben ouais, comment gérer lexcitation que ça procure, tout ça..." Le sempiternel débat vire rapidement à une rhétorique rituelle, mi-rabelaisienne, mi-stoïque. Ca me fait vraiment chaud au cur de revoir Nico, et Seb, et Yves et Karine. Tout le monde va bien. Yves souhaite vendre sa vieille 205. Paul saffiche comme acquéreur potentiel, mais il tente de marchander, chipote sur le prix fixé par Yves. Les négociations sont forcément âpres, mais se transforment vite en palabres enjouées. On écoute du dub, on baigne dans la joie et la bonne humeur. Au menu : foie gras importé du Lot, raclette, chichon.
Karine souhaite vendre la planche à voile qui croupit dans son garage. "Avec le wish, le mât, la dérive tout ça ?" Je suis intéressé. Paulo aussi. Les négociations sont forcément âpres, mais... Je me vois déjà à Tarifa, ou sur le lac de Garde - un spot terrible selon lami Carlo : vent régulier et puissant. Je rêve...
Paul me ramène chez moi en fin daprès-midi, dans sa tire con réacteur thermonucléaire. Cest un doux euphémisme : on sentend tout juste brailler. Dans ces conditions, il est en droit dexiger une ristourne sur la 205, faut pas déconner... Pour soulager le tigre enroué sous le capot de sa bagnole, il compte passer chez Midas, avenue François Verdier, après mavoir déposé. Intéressant, ça...
A la maison. Tout est calme. Ma sur squatte ma chambre : elle révise studieusement ses manuels danatomie et de physique. Je me cloître dans la chambre de mes parents, jécoute des skeuds, et, le cur vaillant, je me décide à entamer le Philippe Djian. Mais très vite, je maffaisse lourdement sur la quatrième de couverture. Sieste abyssale.
Je me réveille vers 19 h 30. On va passer à table. OK, allons-y.
Je retourne me coucher.
Le lendemain, lever tôt : javais décidé de me raser pour affronter dignement le réveillon, mais en fin de compte, le chaume touffu qui recouvre mes tempes et mon menton me décourage. Tant pis. Ils arrivent vers 11 heures. Sarah est exubérante, comme dhab, elle me demande demporter des disques parce quelle ne supporte plus les avatars de chanson réaliste gaucho de Yohann. Je fais la grimace. Manifestement, ils se sont bien échauffés depuis Carmaux, et ça risque de continuer jusquà Toulouse. Il y a aussi Gwendoline, la cousine de mes cousines mignonne et timide, elle encaisse héroïquement le baratin individualiste de Sarah et la furia syndicaliste de Yo.
Dans la voiture, on ny coupe pas. Yo me fait écouter sa trouvaille, mais je nai pas le cur à écouter du sous-Têtes Raides assaisonné à un discours proto-trotskyste convenu. Très vite, je mets un disque, une compil de la Motown, mais on nentend rien avec le ronron hénaurme de lautoroute - d'uatant plus que Yo a baissé le volume pour mieux nous faire part de ses impressions mitigées sur le contexte social de la rentrée. Sarah sest endormie. Mais dès quon sort de lautoroute, à hauteur de Montastruc, le débat reprend vigoureusement. Sarah affiche ses convictions néo-libérales avec droiture (hum...), tandis que Yo sescrime à défendre la cause des travailleurs solidaires, etc. Je penche naturellement du côté de mon cousin, mais là, je me sens pas dattaque à mimmiscer dans leur joute politique décousue. Je préfère me réfugier dans la sensualité clinquante des Supremes, assourdie par tant de vacarme - je magrippe à ce fil ténu comme à une bouée de sauvetage. Putain, et la trêve des confiseurs, vous en faites quoi...?
On débarque à LUnion. Martin nous accueille. On débarque tout notre fatras, bagages, effets personnels, duvets, bûches, mandarines et litchis, puis on part vers le centre-ville retrouver Elsa, aux Galeries Lafayette. Devant laffluence de la famille, Thierry lui accorde son après-midi. Cool. On mange au Barrier, en face du grand magasin, puis les filles se paient une expédition fringues et autres futilités aux Nouvelles Galeries. Jen profite pour faire un détour chez Armadillo. Je trouve deux pépites : Nosferatu, lalbum solo de Hugh Cornwell, sorti en 1979, et un album des Scars intitulé Author! Author!, de 1981. Garry Mulholland évoque leur premier single, Horrorshow, sorti sur le label Fast en 79 (je crois) dans son séminal This is uncool. Ca a lair bien, même sils ont tous des dégaines effroyables de garçons coiffeurs rétro-futuristes, mais je ne leur en saurai gré : lépoque était aux oripeaux flamboyants et criards, comme en attestent Adam & the Ants, Duran Duran, Bow Wow Wow ou Altered Images... Après vérification, les Scars se lovent adroitement dans une veine saillante, au carrefour de Teardrop Explodes, Echo & the Bunnymen, Josef K. ou The Sound. Pas mal du tout, donc. Bonne affaire.
Je retrouve les autres au parking Jean Jaurès. On retourne à LUnion. Il faut aller acheter les menus commandés au Leclerc de Rouffiac, ranger et nettoyer un peu lappartement de mes cousines, dissimuler toutes sortes dobjets contondants, et autres vecteurs daccidents domestiques (il y aura une gamine de cinq ans et quelques fêtards bourrés ce soir...), soccuper de la disposition des tables, de lapéro, etc.
Finalement, je reste à lappart avec les cousines pendant que Martin et Yo se radinent chez le traiteur. Entre-temps, Gérard, un ami de Thierry, qui sera lui aussi de la party, est venu installer les enceintes pour la chaîne. Et il est reparti aussi sec. Je me paume dans la résidence en descendant les ordures ménagères - impossible de trouver le local poubelles. Je fais le tour du pâté dimmeubles, lair contrit, les bras encombrés de cartons et de sacs plastiques. Cest ultra sécurisé, y a des digicodes partout, on se croirait à Beverly Hills ou dans le Luberon - du coup, je suis incapable de remonter à lappart. De la terrasse, je hèle Sarah qui grille une clope sur le balcon. Elsa vient à ma rescousse, me déleste de quelques bricoles, et mindique la voie du Saint Graal des détritus domestiques... Pas de container pour le verre - il doit se trouver à lextérieur de la résidence. On ramène les cadavres de bouteilles en haut, on les planque discrètement sur le balcon, sous le séchoir.
Lappart est en ordre, prêt à affronter les péripéties de la Saint-Sylvestre. Martin et Yo reviennent assez vite du Leclerc. Alors on attend. On sennuie un peu. On écoute de la musique. Yohann a acheté des CD de Philip Glass - il plombe encore un peu plus lambiance. Je rectifie le tir en mettant Gemstones dAdam Green sur la platine. Les autres apprécient. Puis une compil de singles des Kinks. Le must absolu, de 1964 à 1967, de Long Tall Sally à Dead-End Street. Sarah opine du chef, Yo avoue son engouement pour "ce genre de musique". Mais bientôt, ils commencent à comparer les Kinks aux Beatles. La rengaine habituelle... Je fulmine intérieurement. Selon Edwyn Collins, tout et nimporte quoi ressemble aux Beatles - il la écrit dans une chanson de son album Doctor Syntax, sorti en 2002, je crois. Sous prétexte que ce groupe est plus connu que Jésus-Christ himself ici-bas (cest pas moi qui lai sortie, celle-là, et jaime autant vous dire que ça a fait du bruit... cependant, cest pas bien loin de la vérité), on devrait mesurer nimporte quel pourvoyeur de pop énergique à laune des Fab Four de Liverpool. Merde ! Les Kinks surclassent les Beatles en émotion, en intensité, en authenticité... Je néchangerai pour rien au monde un baril de Ray Davies contre deux barils de Lennon/McCartney, merci bien.
Au bout dun moment, les filles vont se réfugier dans la chambre dElsa pour consoler Gwendoline, un brin cafardeuse. Peine de cur, semble-t-il... On reste dans le salon avec Yo et Martin. On attend. On sennuie un peu. On écoute de la musique. Queens of the Stone Age, Monochrome Set, The Shins. On joue au pendu. Martin commence : - - - - - - -. La solution : H E R O I N E. Un ptit fix, quelquun ? Jsuis pas lhomme au bras dor. A mon tour : - - - - - - - - -. La solution : M E T H A D O N E. "Ben ouais, normal, un mot de substitution..." Yohann a décrété sérieusement 2005 année de lhumour. Les prémisses sont fulgurants, cousin...!
Sandra arrive du boulot vers 21 heures, Martin fait un peu la gueule. Ca sarrange, mais tout de même, sa patronne est une vraie connasse. Les premiers invités débarquent peu de temps après. Puis tout sembraye très vite. Des copines de , des copains de , etc. On entame lapéro. Kir mûre, vodka caramel-jus de pomme : je tise tranquillement. Jen ai marre de rouler mes barreaux de chaise, je taxe des clopes de ci, de là. Ambiance détendue mais encore un peu gauche. Beaucoup de gens ne se connaissent pas.
"Alors, qui est avec qui ici ?" senquiert abruptement Gérard. On rigole. Ce réveillon tient tout autant de la réunion de famille que du dîner en ville truffé danonymes avenants. La gamine de cinq ans est mignonne et très vive pour son âge - parfois survoltée, même... Je mets mon chapeau noir feutré dinspiration Philip Marlowe pour épater la galerie. Bien joué : tout le monde veut lessayer à tour de rôle. Les flashes des appareils photo numériques fusent. Certaines photos sont pas mal, dautres carrément ingrates. A un moment, mon chapeau se morfond dans un coin du canapé - la petite est à deux doigts de lécraser. Jesquisse un léger rictus, je me faufile au milieu des convives, je mempare du couvre-chef, et je vais laccrocher fissa à une lampe en hauteur, dans la chambre dElsa. Ouais, je veux pas passer pour un pauvre matérialiste superficiel, mais je lai acheté y a un mois à peine à L.A., et il est déjà abîmé. Faut dire, ils mont fait le même coup à Noël, alors... A linstar dun animal de compagnie, un chapeau nest pas un jouet quon se refile sans considération, juste pour samuser de laccoutrement élégamment décalé quil prodigue. Non mais !
Lapéro traîne en longueur, on est de plus en plus enivré. Yohann a faim, et propose de passer à table. Il est environ minuit moins le quart. Les convives se sont un peu dispersés dans le salon, certains se sont même étalés sans vergogne. La petite joue avec un énergumène prénommé Yannick, un copain dun copain de..., qui travaille dans un service de sécurité civile. Un videur occasionnel, donc - il a le physique de lemploi, il ressemble à un demi de mêlée samoan, râblé et mastoc, mâchoires carrées, yeux félins. La gamine, perspicace pour son âge, a tout de suite vu en lui un détenu potentiel, elle veut lemprisonner, elle lui attache les mains au moyen de menottes en papier quelle a elle-même confectionnées. Il se prête au jeu sans barguigner.
On passe à table. "Ca y est, cest minuit ! Bonne année !" Personne ne réagit. "Tavances, cousin - il est minuit moins deux, patience". Sarah a probablement raison. Je me concentre sur le foie gras en attendant les douze coups. Pour ma part, le compte est bon, jai adressé mes meilleurs vux à toute la compagnie, basta !
Un coup de fil, minuit et quatre minutes sur lhorloge analogique de mon portable. Je sors sur le balcon, pour mieux entendre. Mes parents. "Bonne année !" Je tente de leur renvoyer la pareille... mais je reçois un jet de mousse filante sur les oreilles et dans les cheveux. Je reviens dans le salon : les cotillons virevoltent, les sifflets crissent, les accolades pleuvent, les vux sentrecroisent, les kamikazes aux bombes à mousse sen donnent à cur joie, la gamine est hystérique. "Ouais, ouais, bonne année, je lavais déjà dit tout à lheure..." Dans le chaos festif général, je termine paisiblement le foie gras avant quil ne soit complètement maculé de sillons de mousse verdâtre.
Voilà, tout ça, cest déjà de lhistoire ancienne. Le reste...